Si vous avez eu l’occasion d’écouter un interprète de conférence à l’œuvre, vous vous êtes peut-être demandé comment il parvient à réaliser le tour de force de parler et d’écouter en même temps. Pour ma part, ce n’est qu’en lisant le livre Conference interpreting explained de Roderick Jones que je me suis rendue compte qu’un interprète fait en réalité bien plus que « seulement » parler et écouter à la fois.
Selon l’auteur, l’interprète aime sa profession parce qu’il s’agit d’un jeu d’une complexité inouïe qui revêt un aspect non seulement social (l’interprète contribue à la communication) mais aussi intellectuel (il éprouve le plaisir de résoudre au pied levé des problèmes linguistiques et culturels).
Les défis de l’interprétation
Quels sont précisément les défis auxquels l’interprète doit faire face pour mener à bien sa mission ?
- L’écoute : l’orateur produit un contenu d’un niveau de difficulté élevé, non seulement du fait de la matière de son discours qui est parfois fort technique et complexe, mais aussi du fait de ses finesses personnelles, culturelles et linguistiques. Un interprète de qualité est sensible à tous ces aspects. Afin de pouvoir les reproduire fidèlement, il doit écouter et percevoir au maximum tous ces aspects du discours.
- La prise de notes : en interprétation consécutive, l’interprète s’appuie sur une technique spéciale de prise de notes. Si cette technique est tout bonnement indispensable à l’interprétation consécutive, où l’interprète prend la parole après l’orateur, elle est également parfois utile dans le cadre d’une interprétation simultanée, surtout lorsqu’il y a beaucoup de chiffres dans un discours dont l’interprète ne dispose pas sur papier/à l’écran de son ordinateur.
- L’analyse : comme la mission de l’interprète consiste à reproduire la signification globale du discours, il procède tout en écoutant à une analyse de celui-ci. En identifiant la logique du discours, l’interprète s’assure qu’il sera à même de la reproduire.
- La reformulation : l’écoute, les notes éventuelles et l’analyse fournissent à l’interprète tout le matériel nécessaire pour lui permettre d’alimenter sa version du discours dans la langue cible. Il organise intérieurement l’ensemble de ces éléments pour pouvoir produire sa propre version du discours tout en restant fidèle à celle de l’orateur.
- La parole : lorsqu’il prend la parole, l’interprète parle en lieu et place de l’orateur, et s’efforce de créer le même effet sur le public que celui visé par l’orateur. Ceci influence non seulement le choix des termes, mais également l’intonation et l’expression utilisées dans le discours. L’émotion transmise joue parfois un rôle tout aussi important que le contenu proprement dit.
Qu’il produise son discours simultanément ou consécutivement, l’interprète ne dispose que de quelques secondes (interprétation simultanée), voire de quelques minutes (interprétation consécutive) pour réaliser l’ensemble de ces étapes. Des étapes qu’il doit d’ailleurs constamment combiner. Si l’on peut avoir l’impression que l’interprète réalise tout ce processus simultanément, c’est en réalité le fruit d’un passage continu d’une étape à l’autre, le tout à un rythme très soutenu. Un interprète de qualité dispose donc d’un cerveau d’une souplesse impressionnante.
Techniques d’exercice
Dans son livre, Roderick Jones décrit un certain nombre de techniques professionnelles qui peuvent soutenir tous et chacun de ces processus. Il est possible d’orienter certains exercices sur l’écoute, la prise de notes, l’analyse, la reformulation ou encore la parole. Mais sa conclusion générale est que, malgré l’utilité des exercices d’entraînement, c’est surtout la concentration qui sera le facteur clé et qui garantira la réussite de l’interprétation.
Il va de soi que le choix des langues de travail de l’interprète joue également un rôle primordial. Comme il ne dispose pas de temps pour effectuer des recherches, il doit pouvoir compter sur un vocabulaire riche et une facilité d’expression impressionnante dans la/les langue(s) cible(s). C’est pourquoi la plupart des interprètes se limitent soit à l’interprétation vers une langue cible au départ de plusieurs langues sources qu’il maîtrise tout juste un peu moins, soit à l’interprétation dans les deux sens entre deux langues qu’il maîtrise avec tout autant de naturel.
Plutôt que de m’étonner que les interprètes travaillent par tranches de 20 à 30 minutes, j’en viens honnêtement à me demander comment ils font pour réaliser toutes ces prouesses quasi simultanément pendant autant de temps. Autant dire que l’interprète est un amateur de jeux non seulement complexes, mais aussi tout à fait grisants.
Pour les interprètes (en herbe), les professeurs en interprétariat et les curieux qui veulent en savoir d’avantage : Conference interpreting explained, Roderick Jones, St Jerome Publishing, 2002-2007, ISBN 978-1900650-57-1.
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