Ces dernières années, l’on parle beaucoup de la traduction et de l’interprétation sociales. La traduction et l’interprétation sociales incluent par exemple la traduction et l’interprétation pour les hôpitaux et les écoles. Depuis un bon bout de temps, les autorités veulent professionnaliser ce secteur et ont confié cette tâche à la Centrale Ondersteuningscel (COC) de l’asbl Kruispunt Migratie-Integratie.
Le secteur a en effet besoin d’une bonne dose de professionnalisation. En tout cas, l’harmonisation d’entre autres les principes déontologiques a été très utile. Comparez cela à l’interprétation juridique (qui à part cela a peu à voir avec l’interprétation sociale). Durant les émissions de De Rechtbank, nous avons pu observer à plusieurs reprises des interprètes assistant à des interrogatoires et des séances du tribunal. Bien que chaque interprète ait sûrement fait de son mieux, la qualité de l’interprétation était extrêmement variable et surtout, chaque interprète appliquait sa propre technique, ses propres principes. Certains interprètes traduisaient avec zèle et fidélité, d’autres donnaient des explications supplémentaires, ce qui n’est pas leur devoir. Le même problème se pose dans le milieu de l’interprétation sociale. Chaque interprète veut aider le plus possible – pourquoi être interprète « social » sinon ? – mais il existe des limites à ne pas dépasser.
Depuis le début de la professionnalisation de l’interprétation sociale, l’on a planché sur le code déontologique et sur les examens de certification. Je suis moi-même régulièrement convoqué comme assesseur langue étrangère à l’occasion des épreuves organisées par la COC. Concrètement, cela veut dire qu’en compagnie d’un(e) collègue, j’apprécie les connaissances qu’a un candidat d’une langue « étrangère », comme le français ou l’espagnol, ainsi que la qualité de l’interprétation de ce candidat durant les jeux de rôle. Sans vouloir vendre la mèche, j’aimerais partager quelques réflexions.
Je voudrais préciser – et ceci est une boutade : que quelqu’un réussisse son examen ou non, peu m’importe. Je m’explique. Pour éviter des conflits d’intérêts, en ma qualité d’assesseur je ne peux pas être actif dans l’interprétation sociale. Les candidats ne sont donc pas mes concurrents. Un interprète social de plus ou de moins, ne m’apporte aucun bénéfice ni préjudice financier. Impossible d’être plus objectif que cela. Or, cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas stricts dans notre évaluation. Quand un candidat réussit, il peut être appelé à assister un médecin et son patient dans un hôpital pour l’un ou l’autre diagnostic dès le lendemain. L’interprète social n’a pas le droit à l’erreur. Il n’a que deux options : interpréter juste ou faux. Nous sommes donc plutôt sévères, car nous voulons nous assurer que les candidats mènent à bien chaque mission. C’est la réalité.
Cependant, beaucoup de candidats considèrent qu’un tel examen de certification est simple comme bonjour. Parfois je les comprends : nous évaluons de temps en temps des candidats qui travaillent déjà comme interprète social depuis dix ou quinze ans, et qui doivent soudainement passer un examen pour pouvoir continuer à travailler dans l’interprétation sociale. Ils pensent évidemment que tout ira comme sur des roulettes. Rien n’est moins vrai. Si vous n’osez pas vous remettre en question, vous risquez d’être déçu. Comme de nombreux candidats d’ailleurs. Je respecte ces personnes, mais si la prestation ne suffit pas, leur trajet s’arrête là. Par contre, j’ai moins de respect pour les divas parmi nous. On les connaît tous, ces étudiants qui viennent de terminer leur master ou leur postgraduat et qui pensent tout savoir. Il est vraiment triste de constater que souvent, ces candidats font fausse route pendant les jeux de rôles, sans le savoir. Le résultat : si nous évaluons quatre candidats par jour, souvent seul un réussit l’épreuve.
Et comment pourrait-il en être autrement? Les examens de certification ne sont pas faciles. Nous sommes exigeants – et à juste titre. Ne participez pas à un examen de certification sans vous être préparé à fond. D’innombrables candidats ne réussissent pas parce qu’ils ne respectent pas la déontologie. Pourtant c’est la partie facile : il suffit tout simplement de suivre les règles. Il faut les appliquer rigoureusement durant les interprétations. Sinon, l’histoire se termine là.
Souvent, nous avons affaire à des candidats qui prétendent bien connaître le néerlandais, leur langue maternelle, ainsi qu’une langue étrangère. D’habitude, ils réussissent ladite « épreuve de connaissances » – une épreuve assez simple qui nous permet de vérifier si le candidat atteint le niveau B2 sur l’échelle du CECRL. Entre parenthèses, le niveau B2 étant facilement atteint, l’écueil se situe généralement autre part. Mais bien sûr qu’ensuite nous voulons véritablement évaluer les capacités du candidat durant les jeux de rôle. Bien qu’artificiel, l’exercice est utile pour être intégral : la déontologie, les connaissances linguistiques et la technique d’interprétation y coïncident. Les jeux de rôle constituent dès lors souvent la pierre d’achoppement. Comme je l’ai dit ci-dessus, la déontologie n’est souvent pas respectée. Retour à la case départ. Durant un jeu de rôle, les connaissances linguistiques de l’interprète se trouvent sous pression parce qu’il doit faire plusieurs choses à la fois (écouter, transposer, parler, raisonner, appliquer la déontologie et j’en passe). Excusez-moi d’avance pour ce que je vais dire, mais certaines personnes racontent vraiment du charabia. Retour à la case départ. Ce qui me fait mal au cœur, c’est de refuser des candidats qui maitrisent la technique, mais qui débitent leur texte à tout berzingue comme s’ils étaient un robot. Il est capital de communiquer. Il est essentiel d’établir un lien avec les personnes pour lesquelles on interprète. Or, cela ne veut pas dire qu’il faut « donner un coup de main » à la conversation – d’ailleurs, un des principes déontologiques est de ne rien ajouter, omettre ni changer. Mais un interprète doit bien tenter de se mettre dans la peu de l’orateur pour rendre la conversation plus naturelle.
Une chose est claire : il ne faut pas sous-estimer les examens de certification de la COC. Non pas parce que nous aimons renvoyer des candidats, mais parce que nous voulons qu’ils livrent du bon travail selon les règles de l’art. Beaucoup de candidats sous-estiment un tel examen. Bien sûr que certains candidats sont doués ou même brillants et peuvent tout de suite être lâchés dans la nature. Mais il s’agit là d’une minorité. Dommage, vu tous les efforts de la COC de procurer toutes les informations nécessaires à une bonne préparation.